Changements d'utilisation des sols et évolutions des populations de rapaces : un suivi sur douze ans de deux espèces communes des paysages agricoles de l'Ouest de la France

Soumis par Alain-Herve Le Gall le lun 21/02/2022 - 15:38
Article dans Global Ecology and Conservation
Faucon Crécerelle (crédit : Alexis Lours)

Ou comment buses et faucons crécerelles s’adaptent (ou pas) aux évolutions du bocage

La dégradation de l’environnement causée par l'agriculture et son impact sur les prédateurs des chaînes supérieures suscitent de vives inquiétudes. Mais les scientifiques ne s'accordent pas nécessairement sur la manière d'évaluer les gagnants et les perdants des changements opérés dans  la biodiversité.


Dans ce domaine de recherche, de nombreuses études ont été menées sur les passereaux, mais les études à long terme, et notamment sur les rapaces, font toujours défaut. L’étude publiée dans Global Ecology and Conservation en avril 2022 par Alain Butet, Yann Rantier et Benjamin Bergerot (CNRS, Université de Rennes 1, ECOBIO) fait le bilan d’une enquête de douze années sur deux rapaces diurnes communs : la Buse variable, Buteo buteo et le Faucon crécerelle, Falco tinnunculus. Ces 2 espèces emblématiques sont confrontées aux récents changements d'utilisation des terres dans les paysages agricoles de l'Ouest de la France. Des données précises de télédétection ont été analysées chaque année, ce qui a permis aux chercheurs rennais de décrire précisément la nature des changements d'utilisation des terres et leurs fluctuations le long de cette série chronologique.

Les principaux résultats de cette étude au long cours montrent :
(1) qu’aucune tendance à la baisse ou à la hausse n'est observée pour les buses, tandis que les faucons crécerelles présentent des effondrements de population significatifs
(2) les buses présentent des abondances réduites dans les paysages intensifiés. Elles ajustent leurs effectifs aux taux de boisement et réagissent négativement à l'instabilité des habitats boisés
(3) Les faucons crécerelles manifestent des déclins dans tous les contextes paysagers. Des mesures de gestion drastiques améliorant les surfaces et la qualité des  prairies permanentes seront nécessaires pour inverser ce déclin..

L'étude a eu lieu en Bretagne dans la Zone Atelier Armorique (Fig. 1). La ZA Armorique est une zone de site de recherche labellisée par le CNRS et qui vise à mener des recherches interdisciplinaires à long terme sur les anthroposystèmes en relation avec les enjeux sociétaux. La ZA Armorique est portée et animée par l’OSUR et fait partie des réseaux européen eLTER (European Long-Term Ecosystem Research) et international ILTER de sites de recherche écologique à long terme.

 

 

ZA Armorique : populations de buses et faucons

Zone d'étude : (a) Localisation géographique du site de recherche écologique à long terme "ZA Armorique", Bretagne, France - (b) Transect de rapaces avec points de comptage dans les sites de bocage dense et de bocage lâche. (c) Fenêtre de 500 m de rayon centrée sur un point de comptage avec l'utilisation locale du sol et les enregistrements pluriannuels de rapaces géolocalisés. Vue d'ensemble de l'aspect du paysage de bocage dense (d) et bocage lâche (e).

 

 

 

La ZA comprend trois secteurs privilégiés représentant trois entités paysagères différentes : (1) une zone de paysage agricole, (2) une plaine alluviale et (3) la ville de Rennes comme site de recherche en contexte urbain. Cette étude a été réalisée dans la zone agricole qui couvre une superficie totale de 13237 ha. et qui est dominée par un système agricole typique de la région, le bocage. La zone d'étude est située à proximité de la ville de Pleine-Fougères (60 km au nord de la ville de Rennes, région Bretagne, Nord-Ouest de la France), juste au sud de la baie du Mont-Saint-Michel (Fig. 1a-b).


En tant que paysage typique de la Bretagne, le bocage se présente comme une mosaïque de prairies semi-naturelles et de cultures, étant bordé par quelques parcelles de bois et de haies qui jouent de nombreux rôles écologiques. En raison de l'intensification de l'agriculture, de nombreuses zones de ce système agricole ont considérablement évolué depuis la seconde moitié du 20ème siècle. Il en résulte des paysages plus ouverts, une réduction de la longueur du réseau de haies et des prairies semi-naturelles au profit de l'extension des surfaces cultivées. Les cultures les plus répandues sont les prairies tournantes, le maïs et les céréales.


L’étude à long terme a été menée dans deux secteurs de la zone agricole. Le premier, dans la partie sud, est un bocage dense (DB : "Dense Bocage") bien conservé et le second, dans le nord, est un bocage lâche plus intensifié (LB :"Loose Bocage) (Fig. 1b). Le bocage dense est un paysage agricole bien conservé où dominent les prairies et les cultures fourragères et qui est principalement orienté vers la production laitière. Le bocage moins dense, plus intensif du point de vue des pratiques agricoles, se situe dans la partie nord, constitue un paysage plus ouvert et fragmenté où l'agriculture est principalement orientée vers la production mixte de bovins laitiers et quelques cultures (Fig. 1d-e).


Dans ces paysages bocagers, les haies bordant les champs sont le plus souvent constituées de chênes taillés avec quelques bouquets de châtaigniers taillés. Depuis 2005, en raison de l'introduction de conditions de protection de l'environnement dans le cadre européen de la PAC (politique agricole commune), la plupart des zones humides du bocage sont bordées de bandes enherbées pour tamponner les cours d’eau et restaurer la qualité de l'eau.

Cette observation au long cours couvrant 12 années successives de suivi des abondances de rapaces et des changements d'utilisation des terres fournit de nouvelles informations sur l'évolution récente des populations de rapaces diurnes communs dans les paysages bocagers de l'Ouest de la France.


Elle confirme la bonne santé des populations de buse qui ne montrent aucun signe de déclin prononcé. Cette stabilité semble être liée au caractère généraliste de cette espèce, qui s'adapte numériquement à la fois aux ressources alimentaires et aux ressources en habitat de nidification. Cependant, les chercheurs ont mis en évidence que la fragmentation des habitats boisés induite par l'intensification de ces paysages est capable d'affaiblir significativement les abondances des populations. Ainsi, de ce point de vue, la buse est un bon indicateur de la qualité de la trame boisée au sein des paysages agricoles. A l’avenir, le maintien de surfaces significatives d'habitats boisés au sein de ces paysages agricoles permettra de soutenir des niveaux de population optimaux et durables de ce rapace.


Le faucon crécerelle a montré quant à lui des niveaux d'abondance plus faibles cohérents avec son statut de deuxième espèce de rapace la plus commune en France. Par rapport à la buse, les réponses moins contrastées observées à l'intensification de l'agriculture reflètent sa capacité à s'adapter à différents types de paysages. Néanmoins, le résultat majeur de cette étude réside dans la démonstration d'un déclin continu observé dans la plupart des contextes paysagers agricoles. Les chercheurs ont mis en évidence que cet effondrement des abondances était étroitement lié au déclin des prairies permanentes, principal habitat des campagnols, proies de base de ce rapace spécialiste. La crécerelle apparaît comme un bon indicateur écologique de l'abandon des pratiques de polyculture-élevage qui ont drastiquement induit une diminution de la quantité et de la qualité des zones de prairies. Seul le maintien de prairies ou de cultures courtes permanentes comme la luzerne très favorables aux campagnols serait susceptible d'inverser ce déclin.

Bien sûr, les évolutions récentes des pratiques agricoles peuvent agir de différentes manières sur le succès de la nidification et de l'hivernage des rapaces. Au-delà de cette démonstration des effets corrélés à long terme des changements d'utilisation des terres et de l'évolution des populations de rapaces, il serait important de mener des investigations supplémentaires pour mieux mettre à jour les mécanismes impliqués (prédation, dispersion, succès de reproduction, appauvrissement de la nourriture, écotoxicologie, etc.).

 

Référence
Alain Butet, Yann Rantier, Benjamin Bergerot, Land use changes and raptor population trends: A twelve-year monitoring of two common species in agricultural landscapes of Western France, Global Ecology and Conservation, 34, 2022, e02027

 

Buse variable (Buteo buteo) (crédit : Yves Hoebeke)
Buse variable Buteo buteo (crédits : Yves Hoebeke)

 

Faucon Crécerelle (crédit : Alexis Lours)
Faucon Crécerelle (crédits : Alexis Lours)

 

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