A des faibles doses, supposées non-toxiques, les triazines perturbent les régulations hormonales et les réponses aux stress des plantes

Soumis par Alain-Herve Le Gall le mer 05/09/2018 - 22:48
Sous une apparente non-phytotoxicité....

Diana Alberto, Ivan Couée, Cécile Sulmon, Gwenola Gouesbet (ECOBIO) et Stéphanie Pateyron (Institut des Sciences des Plantes de Paris-Saclay) publient en septembre 2018 un article dans la revue Plant Science qui met en évidence le fait que, sous une apparente non-phytotoxicité, les triazines perturbent les régulations hormonales et les réponses aux stress, y compris à faible dose.
 

L’utilisation massive de pesticides dans les pratiques agricoles a conduit à une pollution des sols et des eaux. Parmi les pesticides persistants, les herbicides peuvent modifier la composition des communautés végétales non-ciblées entraînant des impacts écologiques et agronomiques importants. Dans les sols, les herbicides sont partiellement dégradés par des processus chimiques ou biologiques en métabolites. Les pollutions diffuses d’origines agricoles sont donc constituées de mélanges de molécules actives et de métabolites à faibles concentrations (doses « environnementales ») dont l’impact sur la biodiversité et les écosystèmes est globalement méconnu.

L’équipe de chercheurs avait déjà montré sur la plante Arabidopsis thaliana (Arabette des dames ou Arabette de Thalius appartenant à la famille des Brassicacées, organisme modèle de référence) qu’à faible dose (1 µM), les triazines (l’atrazine (ATZ), herbicide encore largement utilisé au niveau mondial, la déséthylatrazine (DEA), métabolite chloré de l’ATZ, et l’hydroxyatrazine (HA), métabolite de déchloration de l’ATZ) ne perturbent pas la photosynthèse, la cible connue de l’ATZ. Cependant, bien que dépourvues d’effets rapides phytotoxiques, ces triazines à faibles doses ont des impacts insoupçonnés sur d’autres processus cellulaires. L’équipe a alors émis l’hypothèse que l’ATZ et ses métabolites à faibles doses agissaient sur des cibles inconnues et indépendantes des processus photosynthétiques impliquant probablement des processus de signalisation et de régulation.

Pour vérifier ces hypothèses, une analyse transcriptomique étudiant les effets moléculaires précoces de la série chimique ATZ/DEA/HA a été menée sur Arabidopsis thaliana en laboratoire à Rennes. L’analyse des expressions de gènes avait pour but de mettre en évidence les mécanismes moléculaires mis en jeu lors des expositions aux faibles doses de triazines et de déchiffrer les points communs et les spécificités des différents traitements chimiques.

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Cette étude montre que les triazines induisent des changements coordonnés et spécifiques. Les gènes sensibles à l’HA sont liés au développement racinaire. L’ATZ et le DEA quant à eux affectent majoritairement des gènes liés à des réponses aux stress biotiques et abiotiques et aux régulations hormonales. Les expressions de gènes liés à la régulation de processus intra- et intercellulaires codant des facteurs de transcription et des régulateurs de la signalisation sont également modifiées en présence de ces molécules. De plus, les triazines perturbent l’expression de gènes régulés par les cytokinines (CK) et l’acide abscissique (ABA).

L’étude des interactions putatives entre ces différents facteurs et régulateurs confirme l'implication de cascades de signalisation dans les réponses aux faibles doses de triazines selon un schéma de régulation senseur-régulateur-générateur (sensor-regulator-actuator). Les mécanismes sous-jacents et les cibles principales de ces régulations restent encore à découvrir. L’équipe suppose que ces cibles primaires sont liées aux voies de signalisation de l’énergie, de température, de sécheresse, de l’ABA et des CK. Ces cibles pourraient donc faire partie intégrante des mécanismes de détection permettant la perception de structures chimiques communes, telles que les hétérocycles azotés présents dans les cytokinines, les triazines et les herbicides sulfonylurés.

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Schéma intégratif des voies de signalisation liées aux triazines. Les réponses aux triazines à faibles doses sont perçues, transmises et intégrées par la plantes au niveau de senseurs, de régulateurs et de générateurs. Les effets inducteurs ou répresseurs produits par les traitements chimiques sont respectivement indiqués en rouge et en bleu
 

 

L’étude montre par conséquent que des doses apparemment non-toxiques d’herbicides ou de métabolites dérivés affectent néanmoins la croissance et le développement de la plante à travers des mécanismes qui n’impliquent pas la cible originelle connue de l’ATZ. Ces impacts peuvent influencer la régulation des voies de signalisation à différents niveaux, incluant la plasticité du développement de la plante et les réponses au stress.

A terme, la caractérisation précise des perturbations de la transduction du signal pourra permettre d’évaluer l’efficacité des herbicides sur les cultures ainsi que l’impact des contaminations résiduelles sur les communautés végétales naturelles non-cliblées. Enfin, l’identification et la compréhension des interactions entre stress biotiques, abiotiques et pesticides permettront d’affiner les connaissances et les hypothèses sur les effets croisés de la pollution chimique et des stress liés au changement climatique.

 

Référence
Diana Alberto, Ivan Couée, Stéphanie Pateyron, Cécile Sulmon, Gwenola Gouesbet, Low doses of triazine xenobiotics mobilize ABA and cytokinin regulations in a stress- and low-energy-dependent manner, Plant Science, Volume 274, 2018, Pages 8-22, doi.org/10.1016/j.plantsci.2018.04.025.


>>> See also (Science Trends) : At Low Doses, Supposedly Non-phytotoxic, Triazine Xenobiotics Disrupt Hormonal Regulations In A Stress- And Low-energy-dependent Manner

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