Des chercheurs du Laboratoire Géosciences Rennes - Jan Westerweel, Pierrick Roperch, Guillaume Dupont-Nivet et Gilles Ruffet -, de l’Université de Washington à Seattle et des Universités de Shwebo et Yangon au Myanmar ont obtenu des nouvelles données paléomagnétiques qui indiquent que la microplaque birmane se trouvait proche de l'équateur il y a ~95 et ~40 millions d'années (Ma). Cette découverte publiée dans la revue Nature Geoscience supporte une double collision de l’Inde, d'abord avec un arc insulaire entre l'Inde et l'Asie, suivie d’une collision postérieure avec l’Asie. Ces résultats permettent aussi de repenser le contexte paléogéographique et renforcent l’hypothèse d’un endémisme de la faune et la flore piégées dans les fameuses ambres du Myanmar..
La collision du continent Indien avec l'Asie est l'évènement géologique le plus dramatique arrivé à la Terre depuis l'extinction des dinosaures il y a 66 millions d'années (Ma). Cette collision est responsable du soulèvement des plus hautes montagnes du monde - le plateau du Tibet et l'Himalaya. Ces soulèvements ont généré les moussons asiatiques et probablement un refroidissement global du climat menant la Terre d'un état sans calotte au conditions actuelles de glaciation bipolaire. Malgré son importance, la collision Inde-Asie reste mal comprise. Aujourd'hui, les spécialistes se déchirent entre deux modèles de collision ; d'une part une collision simple entre l'Inde et l'Asie autour de 60-50 Ma, d'autre part, une collision en deux étapes avec, avant la collision Inde-Asie, une collision entre l'Inde et une petite chaine dans l'océan entre l'Inde et l'Asie (voir Figure). Adopter l'un ou l'autre de ces modèles a des implications majeures pour la compréhension des processus de formation des montagnes et leurs impacts sur les changements climatiques régionaux et globaux.
Comme il ne reste plus beaucoup de roches préservées dans la zone de collision entre l'Inde et l'Asie, les chercheurs se tournent vers les côtés de la zone, notamment au Myanmar nouvellement ouvert aux recherches géologiques internationales. Les bassins sédimentaires et les roches magmatiques du Myanmar constituent de précieuses archives ayant enregistrés la collision et font donc partie des chantiers du projet ERC MAGIC (‘Monsoons of Asia caused Greenhouse to Icehouse Cooling’) dont l’objectif est de comprendre le rôle des moussons dans l’évolution du climat global pendant la collision Inde-Asie.
Ces roches sont principalement situés sur une microplaque tectonique (Microplaque Birmane) délimitée au nord par la syntaxe orientale de la chaîne himalayenne, à l’ouest par la plaque indienne, au sud par l’ouverture océanique dans la mer d’Andaman et à l’est par la faille de Sagaing, une faille active avec un déplacement rapide d’environ 2 cm/an. Malgré ces caractéristiques suggérant une histoire complexe avec des déplacements tectoniques importants, la plupart des études géologiques ont été faites en pensant que le Burma terrane n'a pas beaucoup bougé et qu'il faisait partie de l’Asie depuis plus de 200 Ma. Aucune donnée paléogéographique n’était disponible pour confirmer cette hypothèse.
Une étude paléomagnétique avec des travaux de datation a été réalisée pour mieux contraindre la paléogéographie de la microplaque birmane. Le paléomagnétisme permet, à partir de l'enregistrement du champ magnétique préservé dans une roche donnée, de déterminer à quelle latitude se trouvait cette roche et si elle a subi des rotations d'axe vertical. Les résultats paléomagnétiques, obtenus sur un arc magmatique (Wuntho-Popa arc), permettent de placer le Burma terrane en position équatoriale (~5°S) vers 95Ma. Cet arc enregistre aussi une rotation tectonique horaire d’environ 60° depuis sa formation. Les données paléomagnétiques dans des roches sédimentaires déposées il y a environ 40 Ma montrent aussi des latitudes équatoriales mais pas de rotation significative.
Ces résultats ont plusieurs implications majeures. La position équatoriale de l’arc magmatique de 95 Ma montre que cet arc ne doit pas être corrélé avec le magmatisme de la marge sud de la microplaque de Lhasa (Magmatisme du Gangdese) mais indique l’existence d’un arc trans-thethysien vraisemblablement connecté à celui du Kohistan, actuellement accrété au sud du Pamir (voir Figure). Cela renforce l’hypothèse d’une première collision de l’Inde avec un arc trans-thetysien pendant autour de 60-50 Ma précédent la collision avec l’Asie plus tardive.
Au-delà de la tectonique des plaques, l’existence d’un arc insulaire dans la Téthys a également des implications pour la paléoclimatologie et la paléontologie. Dans le cadre du projet MAGIC, les simulations paléoclimatiques prennent maintenant en compte cette paléogéographie pour comparer modèles avec traceurs climatiques. Il est maintenant clair que les enregistrements sédimentaires du Myanmar entre 100 et 40 Ma, où se trouve aussi les plus anciens sites de primates fossiles, caractérise un climat équatorial et non pas celui des tropiques. Finalement, l'ambre fossile du Myanmar préserve l'un des enregistrements les plus divers et les plus connus de biodiversité avec plus de 870 espèces d'organismes signalés, y compris des plantes, des insectes et des vertébrés. Cette biodiversité fait l’objet de plus d’une centaine d’articles scientifiques chaque année. Les nouvelles données paléomagnétiques relancent le débat sur l’importance des ponts constitués par les arcs volcaniques dans la dispersion des espèces, une possible affinité gondwanienne et l’endémisme de la faune et la flore piégées dans l’ambre.
Cette étude souligne l’importance des données paléomagnétiques pour contraindre les déplacements tectoniques et comprendre la formation des chaînes de montagne et les changements climatiques et biologiques associés.
Cette étude paléomagnétique est le fruit d’une collaboration avec Alexis Licht de l’Université de Washington et des scientifiques des Universités de Shwebo et Yangon au Myanmar. Ces recherches sont financées par le CNRS et l’ERC.

Reconstruction des plaques il y a 90 millions d'années (Ma) contrainte grâce aux nouvelles données paléomagnétiques de la microplaque birmane supportant l'existence d'un arc trans-tethysien avant la collision entre l'Inde et l'Asie.