OK, les apparences sont clairement contre nous ! Et pourtant, les collègues ne sont pas en partance pour le littoral de Guidel dans le Morbihan (encore que... certains y ont leurs habitudes), mais plutôt pour la Sélune, charmant petit fleuve côtier qui se jette dans la baie du Mont-Saint-Michel et qui fait l'objet d'un suivi scientifique par plusieurs labos de l'OSUR.
La "planche à voile" de l'OSUR mérite donc des explications, voire des justifications...
Mais avant de commencer, un peu d'histoire
Le département de la Manche compte deux aménagements hydrauliques situés sur la Sélune. Le plus important se trouve à Isigny-le-Buat (Vezins) construit entre 1929 et 1932 et le second, plus modeste et plus en aval, à la Roche-qui-Boit (à Saint-Laurent-de-Terregatte) construit un peu plus tôt entre 1915 et 1920.
278 m de long et 36 m de haut, le barrage de Vezins est huit fois plus puissant que celui de la Roche-qui-Boit. Ces deux ouvrages produisaient de l’électricité pour EDF. En 2009, le gouvernement décide de procéder à l'arasement des deux barrages dans le cadre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d’eau, car ils empêchent la circulation des poissons migrateurs. Après moult péripéties (lire à ce sujet "Barrages de la Sélune : Zoom pour mieux comprendre le « feuilleton"), en 2018, les vidanges des retenues sont effectives et le préfet de la Manche autorise les travaux de déconstruction du barrage de Vezins et le démantèlement du barrage de La-Roche-Qui-Boit. De fait, le lac de Vezins a déjà disparu, et en attendant la mise en oeuvre des arasements proprement dit (car le projet ne fait pas l'unanimité et l'association "les Amis du barrage" se bat sur le terrain judiciaire), les scientifiques ont 15 ans pour étudier cet écosystème chamboulé, aussi bien d'un point de vue écologique qu'hydrologique...
Un peu de sciences maintenant, revenons à notre "planche à voile"
La fine interface sédimentaire séparant la rivière de l’aquifère, appellée zone hyporhéique, est un véritable réacteur naturel. Soumise aux flux sédimentaires, la perméabilité de cette zone dépend fortement du colmatage par les fractions fines de sédiments transportés par la rivière. Dans la Sélune, la vidange des barrages de Vézin et de La Roche-qui-Boit est en train de libérer d’important volumes de sédiments qui ont déjà participé à augmenter la turbidité en aval.
Comme il est extrèmement difficile de quantifier la perméabilité des lits de rivières de façon spatiale et non-invasive, les scientifiques de l'OSUR - dont Joris Heyman (Géosciences Rennes) - souhaitent donc caractériser l’état avant arasement des barrages du lit de la Sélune grâce à une antenne électro-magnétique de 4 mètres de long montée sur une planche à voile. Ce montage permet d'enregistrer en continu la conductivité du lit de la rivière, depuis sa source jusqu'à l'exutoire, et de fait de distinguer les zones perméables et les zones colmatées.
Cette étude est menée grâce aux projets LEARN (Agence de l'eau Seine Normandie), HOTFLUX (EC2CO) et SUCHY (ARED+CNRS).
A gauche, Boris Jose Lora Ariza, étudiant colombien (en thèse à la National University of Colombia, invité à Géosciences Rennes pour quelques mois) ; à droite, Joris Heyman (septembre 2019)
Le barrage de Vezins (juillet 2019) : la végétation reprend ses droits quelques mois après la vidange de la retenue d'eau
La Sélune juste en amont du barrage de Vezins (juillet 2019) : la lisière des arbres délimite la rive de l'ancienne retenue d'eau
Alain Crave et Boris Jose Lora Ariza débarquent le matériel (septembre 2019)
Boris Jose Lora Ariza en pleine expérimentation (septembre 2019)
Alain Crave et Boris Jose Lora Ariza les pieds dans l'eau, car il faut bien se mouiller de temps en temps !
>>> Pour en savoir plus : Comment savoir si une nappe phréatique alimente un cours d'eau, ou si c'est l'inverse ? >>>
Les étudiants du master 2 Sciences de l'eau (parcours Hydro3) de l'université de Rennes 1 (OSUR) vous expliquent cela : un TP sur le terrain comme si vous y étiez, instrumentation à l'appui, sur la Sélune, en octobre 2018 ! (vidéo de 2mn40)