Les parasites, une source de stress pour les hôtes mais aussi des bioindicateurs à ne pas négliger…
Claudia Gérard (Université de Rennes 1, ECOBIO), Maxime Hervé (Université de Rennes 1, IGEPP), Thomas Barreau et Héloïse Hamel (CRESCO), Mélanie Gay et Michel Barbier (ANSES) publient en Février 2022 dans la revue Aquatic Living Resources un article qui traite des métazoaires parasites chez les juvéniles de Mustelus asterias (Elasmobranche Carcharhiniforme Triakidé), un requin présent dans la Manche.
Les Elasmobranches (= anciennement Sélaciens), i.e., raies et requins, font l’objet de mesures de bioconservation en raison de leur vulnérabilité liée à la surpêche et à la pollution, mais aussi aux caractéristiques de leur cycle de vie (croissance lente, maturité tardive, longue gestation, faible fécondité et longue durée de vie, engendrant un faible taux d’accroissement des populations). La plupart des espèces d’Elasmobranches sont de plus en plus menacées, parmi lesquelles l’émissole tachetée Mustelus asterias (Fig. 1), exploitée commercialement, et qui est passée en 2020 du statut de « least concern / non préoccupant » à celui de « near-threatened / quasi-menacé » (IUCN red list). L’émissole tachetée est une espèce de requin côtier, dont l’aire de répartition s’étend de l’Europe du Nord jusqu’à l’Afrique du Nord-Ouest, distribuée depuis le plateau continental jusqu’à 200 m de profondeur et qualifiée de démersale (i.e., vivant près du fond des mers, mais non inféodée à celui-ci).
Figure 1. Emissole tachetée Mustelus asterias (taille ≤ 140 cm)
Le cortège parasitaire de l’émissole tachetée est largement méconnu, en particulier celui des juvéniles, malgré l’intérêt multiple que représente l’étude des parasites. En effet, les parasites peuvent non seulement fortement affecter la santé de leurs hôtes, avec des répercussions sur la dynamique des populations hôtes, mais ils constituent aussi des marqueurs pouvant renseigner divers aspects de leur biologie (ex. régime alimentaire, utilisation de l’habitat, déplacements…).
Dans ce contexte, nous avons étudié les métazoaires parasites de 20 juvéniles de Mustelus asterias (13 mâles et 7 femelles), originaires de la Manche et obtenus auprès de pêcheurs professionnels (Fig. 2).
Figure 2. Carte des trois zones de la Manche où l’émissole tachetée a été pêchée
(n = nombre d’individus ; VIId, VIIe, VIIf = zones définies par le Conseil International pour l'Exploration de la Mer)
La dissection approfondie de tous les organes des émissoles tachetées a montré qu’elles étaient toutes parasitées par une à six espèces parmi les 12 enregistrées pendant l’étude, avec un maximum de 170 parasites dans un seul requin (nombre moyen ± intervalle de confiance = 31 ± 21 parasites par requin). Parmi les 12 espèces de métazoaires parasites, seules deux d’entre elles se fixent activement sur les branchies ; les 10 autres, présentes dans le tractus digestif, sont transmises par voie trophique lors de l’ingestion de proies parasitées.
Nos résultats confirment le régime alimentaire de l’émissole tachetée axé sur la consommation de crabes et pagures (bernard-l’ermite), et montrent qu’il comprend aussi des Céphalopodes et des Téléostéens. Les différences parasitaires mises en évidence en fonction du sexe des émissoles suggèrent également une ségrégation spatiale précoce entre les mâles et les femelles, avant même l’acquisition de la maturité sexuelle. D’autre part, deux espèces de métazoaires parasites apparaissent particulièrement pathogènes, un copépode des branchies et un nématode du tube digestif (Fig. 3).
Figure 3. Deux pathogènes de l’émissole tachetée : à gauche Kroyeria lineata (Copépode des branchies) et à droite Proleptus obtusus (Nématode du tube digestif)
[respectivement d’après Isawa 2008 Crustaceana 81: 695-724 et Moravec et al. 2002 Syst. Parasitol. 53: 169–173]
Des recherches ultérieures approfondies en parasitologie sont nécessaires pour mieux comprendre et mesurer l’impact à long terme du parasitisme sur les populations de Mustelus asterias et concrétiser l’utilisation des métazoaires parasites comme bioindicateurs. En raison de l’omniprésence des parasites et du stress environnemental qu’ils constituent pour leurs hôtes, il s’avère indispensable d’intégrer la parasitologie dans les programmes de recherche à large échelle visant à améliorer la gestion des stocks et à mettre en place les stratégies de conservation.