Paysages de recombinaison chez les angiospermes
Génomique comparative à large échelle
La recombinaison méiotique est une caractéristique universelle des espèces à reproduction sexuée. La méiose est un processus de double division cellulaire qui prend place dans les cellules de la lignée germinale pour former les gamètes. Elle joue donc un rôle essentiel pour la diversité des espèces par le brassage génétique qu'elle génère. Pendant la méiose, les événements de recombinaison (les crossovers) jouent un rôle fondamental pour la ségrégation correcte des chromosomes et produisent du brassage génétique des allèles (i.e. les différentes versions d’un même gène) entre les chromosomes. Les taux de recombinaison ne sont pas distribués aléatoirement le long du chromosome et leur localisation peut avoir un fort impact sur le fonctionnement et l'évolution du génome.
La variation attendue des paysages de recombinaison (i.e. la variation du taux de recombinaison le long du chromosome) au sein d'un génome et entre différentes espèces reste une question centrale pour comprendre l'évolution de la recombinaison. Jusqu'à présent, la grande diversité des paysages de recombinaison chez les plantes a rarement été étudiée et une approche de génomique comparative est encore nécessaire pour caractériser et évaluer les déterminants des paysages de recombinaison entre les espèces et les chromosomes.
Figure 1. Six exemples de paysages de recombinaison parmi les plantes à fleur. La ligne représente le taux de recombinaison (cM/Mb) le long du génome pour un chromosome. Le point représente le centromère. L’enveloppe représente l’intervalle de variation du taux de recombinaison pour tous les chromosomes de l’espèce (ligne pointillée = moyenne de tous les chromosomes).
Thomas Brazier (ECOBIO, Université Rennes 1) et Sylvain Glémin (ECOBIO, CNRS & Uppsala University) ont caractérisé et comparé les paysages de recombinaison dans un large ensemble d'espèces végétales avec un large éventail de taille de génome (57 plantes au total). Ils ont constaté que le nombre de crossovers (recombinaison) varie peu entre les espèces, allant d'un crossover obligatoire à pas plus de cinq ou six crossovers par chromosomes, quelle que soit la taille du génome.
Au contraire, les deux chercheurs ont trouvé une relation générale entre la taille relative des chromosomes et le taux de recombinaison, tandis que la longueur absolue contraint le taux de recombinaison basal pour chaque espèce. De plus, ils ont identifié deux principaux schémas de variation le long des chromosomes (à quelques exceptions près) qui peuvent être expliqués par un nouveau modèle conceptuel où les télomères (i.e. l'extrémité d'un chromosome) et les centromères (i.e. la région de contact des deux chromatides d'un chromosome) jouent un rôle.
Source : National Human Genome Research Institute
Ces patrons correspondent globalement à la distribution sous-jacente des gènes, qui affecte l'efficacité du brassage génétique lors de la méiose. La forte association entre la densité en gènes et la recombinaison était déjà connue, mais l’observation que cette association est récurrente parmi les 57 espèces étudiées a soulevé de nouvelles questions non seulement sur l'évolution des taux de recombinaison mais aussi sur leur distribution le long des chromosomes.
Figure 2. Le taux de recombinaison moyen dépend de la taille des chromosomes.
Figure 3. Deux patrons gouvernent la distribution des crossovers le long du génome. (A) Patron distal où les crossovers sont concentrés aux extrémités des chromosomes. (B) Patron sub-distal, où les crossovers sont surtout au début du chromosome mais rarement aux extrémités.
Cette étude comparative met en évidence des corrélations, et non des mécanismes, mais elle aide à comprendre la diversité et les déterminants des paysages de recombinaison chez les plantes à fleurs. Ces résultats confirment en partie les études précédentes basées sur un nombre d‘espèces réduit tout en apportant de nouvelles informations qui modifient les conclusions précédentes grâce à une analyse détaillée au niveau des espèces et des chromosomes. Deux patrons de crossovers distincts émergent donc à travers un large ensemble d'espèces de plantes à fleurs. Il semble probable que la structure chromosomique (longueur, centromère) et les densités de gènes soient les principaux moteurs de ces patrons, et les interactions entre eux soulèvent des questions sur l'évolution des modèles génomiques complexes à l'échelle des chromosomes.
Le nouvel ensemble de données conséquent et structuré sur lequel s’appuie ce travail devrait être utile pour répondre à ces questions et tester les futures hypothèses évolutives concernant le rôle de la recombinaison dans l'architecture du génome. Les auteurs espèrent que de nouvelles espèces seront ajoutées au jeu de données, notamment grâce au nombre croissant de génomes végétaux entièrement séquencés.
Les scientifiques rennais encouragent également les expérimentateurs à quantifier séparément les paysages de recombinaison mâles et femelles, car les différences sexuelles potentielles pourraient apporter des informations importantes sur l'évolution des patrons de recombinaison. La comparaison de cartes de recombinaison entre espèces étroitement apparentées, voire entre populations d'une même espèce, aiderait également à comprendre comment évoluent les paysages de recombinaison.