De l’importance de l’écologie expérimentale pour mieux comprendre les effets des changements globaux sur les différents niveaux d’organisation biologique
C’est la question à laquelle répondent une équipe internationale regroupant des chercheurs de l’Université d’Oslo (CEES), d’INRAE (UMR ESE) et de l’ENS. L’article a été publié dans la revue Royal Society Open Science en octobre 2021 et illustre l’importance de l’écologie expérimentale pour mieux comprendre les effets des changements globaux sur les différents niveaux d’organisation biologique.
Les activités humaines exercent de nouvelles pressions de sélection responsables de changements évolutifs majeurs des traits biologiques des individus. Ces changements évolutifs ont une base génétique, et peuvent potentiellement moduler le rôle écologique qu’exercent les individus sur leur environnement et, finalement, sur le fonctionnement de l’écosystème. Afin de mieux prédire et gérer les conséquences des changements globaux, il est donc crucial de mieux comprendre les liens entre ces changements évolutifs et les effets écologiques qui en découlent.
La pêche, commerciale ou récréative, est une activité anthropique à laquelle de nombreuses populations de poissons sauvages sont soumises. En plus de réduire les densités de poissons, la pêche élimine préférentiellement les poissons les plus gros, c’est à dire ceux maximisant le rendement économique. Cette élimination non-aléatoire entraîne un changement évolutif vers des individus plus petits et à maturité précoce. Jusqu’à présent, les conséquences de ce changement évolutif sur l’écosystème restaient mal connues et difficile à appréhender en milieu naturel, notamment car la présence de nombreux facteurs confondants dans l’environnement ne permet pas de quantifier la réponse évolutive des individus exploités.
Dans cette nouvelle étude pilotée par Charlotte Evangelista (CEES, Université d’Oslo, Norvège), en collaboration notamment avec Eric Edeline (INRAE, ESE), les auteurs se sont basés sur des approches expérimentales pour déterminer les conséquences de l’évolution induite par la pêche au niveau de la population, de la communauté et de l’écosystème. Pour cela, ils ont utilisé le médaka (Oryzias latipes) comme modèle biologique, un petit poisson asiatique largement utilisé en biologie expérimentale. Les médakas provenaient de deux lignées sélectionnées artificiellement au laboratoire pendant dix générations pour mimer soit une réponse évolutive induite par la pêche (individus à croissance lente et maturité précoce), soit une réponse évolutive plus proche de celle rencontrée dans les milieux naturels non soumis à la pêche (individus à croissance rapide et maturité retardée). Ces médakas ont ensuite été transférés dans des mares expérimentales où, durant 3 mois, ils se sont nourris naturellement de macroinvetrébrés et autres organismes planctoniques.
Dans les mares, les poissons de la lignée mimant l’effet de la pêche ont produit moins de juvéniles, en particulier quand la quantité de poissons était élevée et donc la compétition importante. Ces nouvelles données empiriques mettent en évidence une incertitude sur la capacité supposée des populations exploitées à se rétablir après l’arrêt des activités de pêche, c’est à dire quand les densités augmentent à nouveau. Ce travail a également montré que les médakas de la lignée mimant l’effet de la pêche étaient de moins bons prédateurs, et avaient donc un régime alimentaire plus restreint. Globalement, ces résultats suggèrent que les médakas issus de la lignée mimant l’effet de la pêche ont une capacité plus faible à faire face à des changements environnementaux tels que des fluctuations de compétiteurs et/ou de proies. Etant donné que les événements environnementaux non prédictibles sont amenés à se multiplier dans les années à venir, la capacité des populations exploitées à faire face à ces nouvelles conditions environnementales est donc incertaine. Finalement, les différences observées entre les deux lignées se répercutent sur l’écosystème, puisque les auteurs ont constaté que la production primaire (biomasse algale) était moindre en présence des médakas de la lignée mimant l’effet de la pêche, car ceux-ci réduisaient moins les abondances d’invertébrés herbivores.
Ces travaux originaux mettent en lumière que des changements évolutifs agissant à l’échelle de l’individu peuvent se répercuter non seulement sur la dynamique des populations exploitées, mais également sur la structure des communautés de proies et le fonctionnement de l’écosystème. Dans une perspective plus large, ce travail souligne la pertinence de considérer les interactions entre dynamiques évolutives et écologiques dans la mise en place de stratégies de conservations adaptées aux enjeux des changement globaux, et ainsi améliorer notre capacité à gérer les écosystèmes impactés par les activités anthropiques.
Figure 1: Collecte de zooplancton par Joakim Sandkjenn (Photo: C. Evangelista)
Figure 2: Mesure de production primaire par Julia Dupeu (Photo: C. Evangelista)
Figure 3: Mares expérimentales (Centre de recherche en écologie expérimentale et prédictive Ecotron Île-de-France, à Saint-Pierre-lès-Nemours). Les médakas y ont été maintenus en conditions semi-naturelles (Photo: F. Vincent)
Figure 4: Femelle medaka (Oryzias latipes) portant ses œufs (Photo: E. Edeline)