Enora Briand (ECOBIO, IFREMER Nantes) et Myriam Bormans (ECOBIO) publie en mai 2019 un article dans Environmental Microbiology intitulé "Chemically mediated interactions between Microcystis and Planktothrix: impact on their growth, morphology and metabolic profiles" (Interactions chimiques entre Microcystis et Planktothrix : impact sur leur croissance, leur morphologie et la production de composés bioactifs).
Les cyanobactéries ont clairement un problème d’image : dégradations et pollutions de l’environnement en tous genres, contamination de la chaîne alimentaire, problèmes sanitaires etc..
Cette mauvaise réputation est-elle méritée ?
Les cyanobactéries sont des microorganismes photosynthétiques, c'est-à-dire qu'elles utilisent - comme les plantes - l'énergie solaire pour développer leur biomasse. On retrouve les cyanobactéries un peu partout sur notre planète, dans les océans, les eaux douces mais aussi sur la terre ferme, où elles vivent généralement en symbiose avec d'autres organismes. Si elles transforment l'azote atmosphérique en ammonium et en nitrates assimilables par les plantes pour leur développement (et ça c’est très positif), et qu’elles contribuent à une partie significative à la production d’oxygène sur terre tout en captant une grande partie du CO2, les cyanobactéries ont plutôt mauvaises réputations car elles peuvent devenir dangereuses pour la faune et la flore lorsqu'elles prolifèrent dans le milieu, lors d'efflorescences algales par exemple. Nombre d’entre elles produisent des toxines nocives pour les animaux et pour l'homme, et potentiellement mortelles. Ces toxines sont relarguées dans le milieu lors de la décomposition des cellules. Les chercheuses d’ECOBIO – Enora Briand (aujourd'hui à IFREMER Nantes) et Myriam Bormans - et leurs collègues ont donc cherché à comprendre comment les populations d’espèces différentes de cyanobactéries pouvaient interagir entre-elles et influer ou non sur leurs développements respectifs. Cette étude est parue en mai 2019 dans la revue Environmental Microbiology.
Inflorescence planctonique / Bloom de Microcystis aeruginosa (@ Alan Wilson)
Les cyanobactéries d'eau douce sont connues pour leur capacité à produire des composés bioactifs, dont certains ont été décrits comme des substances allélopathiques qui interviennent dans la communication interspécifique (entre les espèces). Ces composés allélochimiques jouent un rôle important dans la compétition pour les ressources environnementales (eau, lumière et substances nutritives), mais également dans le dispositif de défense chimique des organismes contre leurs prédateurs et plus globalement dans la coopération intra- et interspécifique au sein des écosystèmes.
Parmi les composés bioactifs produits par les cyanobactéries d’eau douce, les microcystines (MC) constituent le sous-groupe le plus important et le plus diversifié sur le plan structurel, un groupe qui peut avoir un impact négatif important sur l'écosystème aquatique et par conséquent présenter un danger pour la santé animale et humaine.
Ainsi, des études antérieures ont montré que les MC réduisent ou inhibent la croissance et les processus photosynthétiques chez les plantes aquatiques, chez les algues vertes (ex. Chlamydomonas) et les cyanobactéries (notamment les espèces Nostoc, Anabaena, Synechococcus et Aphanizomenon). En plus des MC, plusieurs autres métabolites cyanobactériens ont également une activité inhibitrice contre les photoautotrophes (notamment le kasumigamide, la microcin SF608 et les acides gras).
On comprend donc l’intérêt d’étudier le rôle de ces composés et de leurs interactions, potentiellement capables de contraindre, contrôler, juguler, le développement excessif des algues vertes et des cyanobactéries dans l’environnement.
En utilisant une approche combinée de co-cultures et d'analyses de profils métaboliques, les auteurs ont étudié les interactions chimiques entre deux souches cyanobactériennes : Microcystis aeruginosa PCC 7806 et Planktothrix agardhii PCC 7805. En milieu naturel, particulièrement dans les eaux douces tempérées eutrophisées, Microcystis et Planktothrix peuvent coexister : Planktothrix étant un colonisateur précoce et Microcystis apparaissant ultérieurement.
Microcystis aeruginosa

Planktothrix agardhii
Concrètement, les chercheurs ont mis au point en laboratoire des chambres de co-culture spécialement conçues à cet effet afin d'étudier les interactions entre les 2 espèces, en se focalisant sur les signaux spécifiques qui peuvent influencer la croissance des organismes et la production de métabolites. Plus précisément, ils ont réussi à déterminer les changements dans la croissance, la morphologie, la production et la libération de métabolites par les deux espèces en situation d’interactions.
Dispositif de co-culture mis en place au labo ECOBIO
L’expérimentation en co-culture de Microcystis avec Planktothrix a ainsi permis de mettre en évidence (1) une réduction de la croissance de Planktothrix, (2) une diminution de la taille des filaments et (3) des altérations dans la morphologie de ses cellules. Par ailleurs, la production de composés intracellulaires par Planktothrix a légèrement diminué entre les conditions de monoculture et celles de co-culture.
En ce qui concerne Microcystis, le nombre de composés intracellulaires s’est avéré plus élevé en co-culture qu'en monoculture. Dans l'ensemble, Microcystis a produit un nombre inférieur de composés intracellulaires en monoculture que Planktothrix, et un nombre supérieur de composés intracellulaires que Planktothrix en co-culture.
L’étude n’a pas permis d'identifier spécifiquement les composés responsables des changements physiologiques et morphologiques observés dans les cellules de Planktothrix. Cependant, dans l'ensemble, ces résultats suggèrent que la co-culture induit des composés spécifiques en réponse à la présence de Planktothrix par Microcystis, dont certains avec une activité allélopathiques. D'autres études devront être menées pour identifier et caractériser ces potentiels produits allélopathiques.
L’étude a ainsi démontré l’impact inhibiteur de la cyanobactérie Microcystis productrice de MC sur la croissance de Planktothrix malgré le coût énergétique associé à la production de ces composés bioactifs. Ces molécules donneraient donc un avantage compétitif aux cyanobactéries productrices dans leur dynamique de prolifération.