Les risques d'accumulation du phosphore à proximité des cours d'eau

Soumis par Alain-Herve Le Gall le lun 02/01/2023 - 15:08
Article dans European Journal of Soil Science

Un groupe de chercheurs de l’OSUR - Ewan Couic et Gérard Gruau (CNRS, Géosciences Rennes), Antoine Casquin (INRAE, SAS) et Sen Gu (Institute of Hydrobiology, Chinese Academy of Sciences) - vient de publier en novembre 2022 un article dans la revue European Journal of Soil Science qui démontre que les sols des zones humides de Bretagne sont à plus de 50% sursaturés en phosphore, ce qui peut entrainer des relargages de phosphore dissous lorsque les nappes remontent en hiver, faisant des zones humides des sources de phosphore pour les hydrosystèmes. Or, on sait que le phosphore est un nutriment qui, lorsqu’il est en excès, peut entrainer une eutrophisation des masses d’eau et conduire entre autre au développement d’efflorescence de cyanobactéries, micro-algues d’eau douce dont certaines souches peuvent être toxiques pour l’homme.

Ce travail s’inscrit dans la suite de cinq articles publiés par le même groupe de chercheurs depuis 7 ans qui ont déjà soulevé ce problème*, l’originalité de l’article est de présenter pour la première fois des données permettant de quantifier précisément le risque.

 

Un constat sans appel

De par leur position topographique, les zones humides sont les récepteurs de l’érosion des versants cultivés. En Bretagne, les carences en phosphore des sols ont conduit à l’ajout d’engrais phosphatés, ajouts qui avec les apports de déjections animales qui contiennent aussi du phosphore, ont contribué à enrichir les sols en phosphore. Le transfert par érosion de ces sols cultivés devenus progressivement plus riches en phosphore vers les zones humides situés en bas de versants conduit ainsi progressivement à des accumulations de phosphore dans ces zones, accumulations qui peuvent être accentuées par le fait que beaucoup de zones humides en Bretagne sont aujourd’hui cultivées ou l’ont été dans un passé récent, faisant que ces zones ont-elles-mêmes reçus des apports directs de phosphore. Le problème engendré par l’enrichissement en phosphore des sols de zones humides est qu’il existe un seuil, ou degré de saturation maximal, ou critique, en phosphore, au-delà duquel le phosphore adsorbé peut être facilement échangé sous une forme dissoute avec la solution du sol, rendant ce phosphore extrêmement mobile. Or, le point critique ici est que les zones humides, du fait de leur position en bordure de cours d’eau, sont connectées hydrologiquement avec ceux-ci, rendant le transfert vers le cours d’eau du phosphore dissous ainsi relargué extrêmement facile. On arrive ainsi à la situation très problématique dans laquelle des stocks de phosphore se constituent à proximité des cours d’eau dans des zones ou le moindre atome de phosphore relargué sous une forme dissoute se retrouvera immédiatement dans le cours d’eau.

Dans l’article qui vient d’être publié, 70 sols de zones humides de Bretagne provenant des bassins versants du Frémur, de l’Yvel-Hivet et de Naizin ont été examinés du point de vue i) de leur capacité à adsorber le phosphore et ii) de leur degré de saturation en phosphore. Le constat est accablant puisque plus de 50% des sols présentent des degrés de saturation de phosphore supérieurs au seuil au-delà duquel un risque important de relargage de phosphore dissous existe.

Comment limiter les risques ?

Limiter les risques passe bien sûr par vérifier que le taux critique de saturation en phosphore des sols de zones humides n’est pas dépassé, mais cette vérification est difficile à faire car nécessitant des analyses complexes et couteuses. Cela passe aussi et surtout par mettre en place des aménagements ou des modifications de pratiques culturales réduisant le risque d’apport et d’accumulation de phosphore dans les zones humides. Les chercheurs ont créé un inventaire d’actions possibles. Parmi les aménagements/modifications proposées on trouve par exemple la mise en place de talus plantés et de bandes enherbées en entrée de zones humides pour éviter les apports de phosphore en provenance des versants cultivés, ou le remplacement du maïs par de la prairie dans les zones humides sensu-stricto, de manière à éliminer tout apport d’engrais phosphatés dans ces zones.

Quand la recherche fondamentale nourrit l’action

Au final, les travaux vont nourrir un module "phosphore – zone humide" dans les diagnostics "parcelles à risques" réalisés en Bretagne pour prévenir les risques de pollution diffuse agricole (Action phytosanitaire : DPR2 multi-polluants). Il s’agit là d’un exemple de transfert de résultats issus de travaux la recherche fondamentale vers l’action, ce transfert nécessitant que ces résultats soient transcrits en recommandations permettant d’agir sur le milieu, en l’occurrence ici les zones humides. Ce transfert explique que les projets à l’origine de ces résultats aient bénéficié d’un soutien financier de l’Agence de l’Eau Loire Bretagne et de la Région Bretagne.

 

Référence
Couic, E., Gruau, G., Gu, S., & Casquin, A. (2022). Variability of phosphorus sorption properties in hydromorphic soils: Consequences for P losses in agricultural landscapes. European Journal of Soil Science, 73( 6), e13326.

 

*Articles précédents (en lien)

  • R. Dupas, G. Gruau, S. Gu, G. Humbert, A. Jaffrezic, C. Gascuel-Odoux, (2015) Groundwater control of biogeochemical processes causing phosphorus release from riparian wetlands, Water Research, 84:307-314.
  • S. Gu, G. Gruau, R. Dupas, C. Rumpel, A. Crème, O. Fovet, C. Gascuel-Odoux, L. Jeanneau, G. Humbert and P. Petitjean (2017) Release of dissolved phosphorus from riparian wetlands: evidence for the complex interplay of soil characteristics, groundwater dynamics, and biogeochemical processes. Science of the Total Environment, 598: 421–431.
  • S. Gu, G. Gruau, F. Malique, R. Dupas, P. Petitjean, C. Gascuel-Odoux, M. Bouhnik-Le Coz (2018) Drying/rewetting cycles stimulate release of colloid-bound phosphorus in riparian soils.  Geoderma, 321: 32–41.
  • R. Bol, G. Gruau, P. Mellander, R. Dupas, M. Bechmann, E. Skarbøvik, M. Bieroza, F. Djodjic, M. Glendell, P. Jordan, B. Van der Grift, M. Rode, E. Smolders, M. Verbeeck, S. Gu, E. Klumpp I. Pohle, M. Fresne, C. Gascuel-Odoux (2018) Challenges of reducing water eutrophication from a phosphorus perspective in the agricultural landscapes of Northwest Europe. Frontiers in Marine Science, section Marine Biogeochemistry, 5:1-16. doi: 10.3389/fmars.2018.00276.
  • S. Gu, G. Gruau, R. Dupas, P. Petitjean, Q. Li and G. Pinay (2019) Respective roles of Fe-oxyhydroxide dissolution, pH changes and sediment inputs in dissolved phosphorus release from wetland soils under anoxic conditions. Geoderma, 338: 365-374.

 

 

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