Le développement des connaissances éco-évolutives rend aujourd'hui possible l'étude des interactions plantes-microorganismes et suggère de nouvelles conceptions de la sélection variétale (Duhamel & Vandenkoornhuyse, 2013). C’est dans ce contexte que se positionne cette étude pilotée par Véronique Chable et Solène Lemichez (INRAE, BAGAP), une étude qui s’inscrit dans le projet européen LIVESEED et dont l'objectif est d’améliorer la transparence et la compétitivité du secteur des semences et de la sélection pour l’agriculture biologique ainsi que d'encourager une plus large disponibilité et utilisation des semences biologiques. Des approches de sélection spécifiques sont ainsi développées pour élargir les choix de variétés adaptées à l’agriculture biologique sur les légumineuses, les espèces potagères, les arbres fruitiers, les céréales et les cultures fourragères. L'un des axes explorés par ce projet est la prise en compte du microbiote des plantes en tant que cible de sélection pour améliorer la résilience et la qualité des cultures biologiques dans une dynamique de recherche participative à la ferme. Ainsi, nous proposons avec cette étude d'analyser la transmission verticale des micro-organismes (bactéries et champignons) de la graine à l'endosphère racinaire de la tomate au cours de deux générations de sélection paysanne, dans des écosystèmes agroforestiers contrastés.
Deux fermes agroforestières situées dans les Cévennes sont considérées, l'une présentant des cultures maraîchères sous noyers avec différentes intensités de taille correspondant à autant d'environnements microclimatiques (ferme du Roumassouze), l'autre alternant haies d'arbres fruitiers et potagers permacoles (ferme du Boulidou). Chaque site dispose d'une zone témoin non agroforestière, où les plantes se développent sans ombrage. Le fait de positionner cette étude dans des systèmes agroforestier permet également de l'ancrer dans les problématiques actuelles de réchauffement climatique et de diminution des ressources hydriques, l'agroforesterie assurant entre autres un effet tampon sur les variations climatiques, une amélioration de la résistance à la sécheresse des cultures et une réduction de l'érosion des sols (Quandt et al., 2019).
L'objectif est de comprendre la structuration et les déterminants de l'assemblage du microbiote grâce à une approche basée sur le séquençage d'amplicons (Lê Van et al., 2017) et un traitement bioinformatique des données (Escudié et al., 2017). L'intérêt de cette étude est de transposer ces méthodes, aujourd'hui couramment utilisées en microbiologie, dans un contexte d'agriculture biologique (semences et plantes non traitées, prélèvements sur sol vivant) pour refléter autant que possible les systèmes considérés. En effet, la plupart des études centrées sur les interactions entre plantes et micro-organismes reposent sur des plantes cultivées dans un substrat stérile, issues de lignées génétiquement homogènes ou de variétés commerciales non compatibles avec l'agriculture biologique, et utilisent des graines stérilisées ou traitées avec des produits phytosanitaires (cf. Bergna et al., 2018 ; Adam et al., 2018). Si ces méthodes décèlent certains mécanismes dans les relations entre plantes et micro-organismes, les conclusions sont pourtant biaisées du fait qu'elles ne prennent pas en compte, voire déstabilisent, certains processus écologiques déterminants dans ces interactions.
Dans cette étude, nous prenons le parti de considérer des plantes issues de sélection paysanne, en intégrant la sélection réalisée à la ferme ainsi que la production des semences dans les dynamiques de co-évolution des plantes avec leur environnement, les graines représentant ainsi un système biologique façonné par des processus génétiques et microbiologiques inhérents à leur terroir. Le suivi de l'évolution du microbiote sur deux générations dans des conditions contrastées complètera les observations phénotypiques pour soutenir les nouvelles stratégies de sélection pour l'agriculture biologique visant la résilience des systèmes de culture, et pour s’interroger sur l’approche scientifique de l’amélioration des plantes dans des systèmes évolutifs et complexes.
Cette étude a reçu un financement de l'OSUR afin d'élargir le spectre des travaux initialement envisagés dans le cadre du projet LIVESEED (accord de subvention de l'Union Européenne No. 727230 dans le cadre du programme de recherche et innovation Horizon 2020).
Références :
Duhamel, M., & Vandenkoornhuyse, P. (2013). Sustainable agriculture: possible trajectories from mutualistic symbiosis and plant neodomestication. Trends in plant science, 18(11), 597-600.)
Escudié, F., Auer, L., Bernard, M., Mariadassou, M., Cauquil, L., Vidal, K., ... & Pascal, G. (2018). FROGS: find, rapidly, OTUs with galaxy solution. Bioinformatics, 34(8), 1287-1294.
Lê Van, A., Quaiser, A., Duhamel, M., Michon-Coudouel, S., Dufresne, A., & Vandenkoornhuyse, P. (2017). Ecophylogeny of the endospheric root fungal microbiome of co-occurring Agrostis stolonifera. PeerJ, 5, e3454.
Quandt, A., Neufeldt, H., & McCabe, J. T. (2019). Building livelihood resilience: what role does agroforestry play?. Climate and Development, 11(6), 485-500.
Adam, E., Bernhart, M., Müller, H., Winkler, J., & Berg, G. (2018). The Cucurbita pepo seed microbiome: genotype-specific composition and implications for breeding. Plant and soil, 422(1-2), 35-49.
Bergna, A., Cernava, T., Rändler, M., Grosch, R., Zachow, C., & Berg, G. (2018). Tomato seeds preferably transmit plant beneficial endophytes. Phytobiomes Journal, 2(4), 183-193.
Fig. 1 : Haies fruitières à la ferme du Boulidou (Cazilhac, Hérault). Crédit photo Sonia Guérin
Fig. 2 : Tomates conduites en tipi sous noyers selon quatre modalités agroforestières (de gauche à droite et de haut en bas : élagué, émondé, étêté et témoin non agroforestier) à la ferme du Roumassouze (Vézénobres, Gard). Crédit photo AGROOF SCOP