Agriculture et paysages : quand le passé éclaire l'avenir !

Soumis par Alain-Herve Le Gall le lun 07/11/2022 - 13:42
Journée organisée le 05 décembre 2022 dans le cadre du DIPEE Rennes ("Paysage et Interdisciplinarité", CNRS InEE) et de l'axe transverse Paysage OSUR

Programme

9h30- 10h : Accueil
10h – 11h : Cyril Marcigny
11h-12h : Sammy Ben Makhad
12h-13h30 : repas
13h30-14h30 : Véronique Matterne
14h30-15h30 : Aurelia Borvon
15h30-16h30 : Vincent Bernard et al.

 

 

III-IIe millénaire, premières planimétries agraires : présentation liminaire et questionnements

Avec Cyril MARCIGNY
Institut National de Recherches Archéologiques Préventives Basse-Normandie, UMR 6566-CReAAH
cyril [dot] marcignyatinrap [dot] fr
http://inrap.academia.edu/cyrilmarcigny

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A la fin du IIIe millénaire une nouvelle forme d’organisation du paysage fait son apparition : la planimétrie agraire. En matière d’aménagement du territoire, ce type de constructions agraires est considéré comme un des éléments fondateurs du paysage. Les planimétries agraires, les « parcellaires » pour reprendre un terme connu par tous, en sont effectivement l’expression la plus importante en termes d’impact paysager. Au-delà de ce rôle structurant, elles sont aussi très probablement la preuve tangible d’un changement fondamental du régime de la propriété dès le début de l’âge du Bronze.
Dans la zone Manche – Mer-du-Nord, au Bronze ancien, et en particulier dans le sud de l’Angleterre et en Normandie, lors d’une plus forte densité d’occupation qui se confirmera au cours du Bronze moyen I, de vastes espaces agraires vont être ainsi mis en valeur et les premières planimétries agraires dressées. Ces parcellaires sont bien entendu peu étendu, formant des sortes d’îlot au sein d’un espace encore partiellement en friche. Ces ensembles forment toutefois des systèmes réticulés où se déplacent des établissements agricoles reliés par des chemins, qu’il est possible d’étudié comme un tout : de la ferme aux champs.
Il est ainsi aujourd’hui possible, grâce aux nombreuses fouilles de ces vingt dernières années, de dresser la trame chronologique de ces implantations agraires et d’en saisir l’organisation au fil du temps ; permettant même bien souvent, sur un même site, de mettre en phase les différentes modifications structurelles de l’organisation agraire, sur parfois presque un millénaire. A partir de ces données et à titre d’hypothèse de travail, en partant du postulat que les structures agraires « réagissent » mieux que d’autres indicateurs aux changements sociétaux (pris dans le sens sociologique d’une transformation durable de l’organisation sociale ou de la culture), nous proposons de dérouler un scénario historique des mouvements économiques et sociopolitiques qui ont sous-tendu les groupes de l’âge du Bronze entre la fin du IIIe millénaire et l’aube du Ier millénaire.

 

 

La fertilisation des champs en Gaule, abordée par la biogéochimie des restes céréaliers

Avec Sammy BEN MAKHAD,
Chercheur associé à l'UMR7209 Archéozoologie, Archéobotanique, Sociétés, Pratiques, Environnement, CNRS-MNHN, sammy [dot] benmakhadatsfr [dot] fr

Sammy-Ben-Makahd_banniere-grain-fumier

Le dynamisme de la démographie et de l'économie des sociétés gauloises du second âge du Fer et de la période romaine s'appuie sur l'efficacité du système agricole. Un des paramètres qui accroit le potentiel des cultures, et qui a été étudié lors d'une thèse soutenue récemment, est la gestion de la fertilité des sols. Les archéologues ont souvent traité de cette question à partir de sources disparates (agronomes latins, études des stabulations et des latrines, mobilier hors-site, écologie des plantes adventices), mais qui n'attestent souvent que de la capacité de production de fumier. La biogéochimie appliquée à l'archéobotanique a bénéficié de récents développements méthodologiques afin de mieux renseigner les pratiques agricoles passées. Les analyses isotopiques des plantes informent sur leurs conditions de croissances et peuvent servir à mettre en évidence la fertilisation des champs à l'échelle de chaque récolte.
Ces analyses isotopiques (δ15N), appliquée sur des restes céréaliers issus de 68 sites archéologiques, ont montré que l'utilisation de fumier était largement répandue dans toute la moitié nord de la France tout au long du second âge du Fer et de la période romaine. Dans certaines régions, il a été montré que les agriculteurs utilisaient moins de fertilisant, probablement à cause des contraintes géologiques qui limitent l'agriculture. Un deuxième apport de cette étude a été de mettre en évidence le traitement spécifique de certaines espèces de céréales.

 

 

Inscrire l'approche des éco-systèmes dans la programmation archéologique : un axe dédié

Avec Véronique MATTERNE + groupe de travail actualisation de la PNRA, axe Archéologie des Paysages (28 personnes)
CNRS, UMR 7209 AASPE CNRS/MNHN/Inrap, Muséum national d'Histoire naturelle, Paris,
veronique [dot] zechatmnhn [dot] fr

La notion de paysage traduit la somme des interactions sociétés-milieux dans le temps long. Les différentes composantes d’un paysage sont analysées par une série de disciplines interconnectées mais qui peuvent présenter des cloisonnements communautaires. En raison des modifications rapides que subissent actuellement les écosystèmes, les données de l'archéologie sont de plus en plus sollicitées par les écologues, les généticiens ou les agronomes pour affiner les prospectives en matière de climat ou de gestion des communautés végétales et animales. Dans cette démarché, l'archéologie est perçue comme :
-une banque de données aptes à affiner les tentatives de projections et modélisations relatives aux interactions climats/environnements/sociétés humaines ;
-un réservoir de pratiques éprouvées, où puiser l’inspiration pour tester de nouveaux modes de gestion agricoles ou sylvicoles ;
-ou encore un outil d’encadrement des politiques visant l’environnement au sens large.
Plusieurs colloques ont été organisés dans la sphère archéologique autour de questions faisant dialoguer les sociétés anciennes et leurs milieux de vie. En dépit de cela, les archéologues sont peu sollicités et s'impliquent peu dans des débats de sociétés pour lesquels ils bénéficient pourtant d’un recul de plusieurs millénaires et d’une connaissance précise du contexte anthropique pour en avoir étudié les aspects culturels, sociétaux et économiques associés…
Il ne serait pas absurde d'entendre des archéologues, environnementalistes et bioarchéologues livrer leur point de vue sur l’évolution de la diversité cultivée et des habitudes alimentaires, l’exploitation des ressources sauvages (et leur commercialisation : ressources horticoles/médicinales), la gestion des grands prédateurs et des gros gibiers (polémiques autour de l’ours, du loup, du sanglier), celles des animaux domestiques, de consommation ou de compagnie, l’appréhension des risques liés aux événements extrêmes, les transformations des réseaux hydriques ou des milieux côtiers, la dévolution des terres, la création de réserves naturelles.
Cela représente un enjeu fort pour nos communautés : ne pas laisser de fausses informations être diffusées par des non-informés, ne pas laisser des idéologies se construire sur des idées fausses, et pouvoir attirer vers la connaissance du passé des communautés qui ne s’intéressent pas spontanément à l’histoire, faute d’en percevoir la connexion avec leur vécu actuel.

 

Le paysage animal, les données de l’archéozoologie

Avec Aurélia BORVON
UMR 7041 ArScAn Equipe Archéologies Environnementales, Nanterre, France
Laboratoire d’Anatomie Comparée, Oniris (École Nationale Vétérinaire, Agroalimentaire et de l’Alimentation, Nantes-Atlantique), France, aureliageronimoataol [dot] com

Aurelia-Borvon_ossements

Si les espèces animales utilisent préférentiellement certains biotopes, il n’est pas toujours aisé de restituer à partir des données archéozoologiques les divers espaces fréquentés. A partir d’exemples médiévaux essentiellement, nous essaierons de proposer quelques pistes de réflexion sur l’utilisation des données archéozoologiques dans ce cadre. En effet les animaux rencontrés sur les sites correspondent très souvent à des animaux mangés. Aussi de quelle manière les pratiques alimentaires peuvent-elles refléter l’environnement ? Inversement, les pratiques agro-pastorales ne favorisent-elles pas certaines espèces, de ce fait plus souvent au menu ? Nous nous interrogerons également sur la manière dont les pratiques d’élevage peuvent façonner les paysages.

 

Gestion des forêts du haut Moyen Âge et production de bois dans le nord-ouest de la France (400-1200) : Le début ou la fin des expériences sylvicoles ?

Avec Vincent BERNARD1, Isabelle CATTEDDU2, Yann COUTURIER3, Yannick LE DIGOL4
1 CNRS, UMR 6566 CReAAH, Univ. Rennes 1, vincent [dot] bernardatuniv-rennes1 [dot] fr
2 INRAP, UMR 6566 CReAAH, Univ. Rennes 1, isabelle [dot] cattedduatinrap [dot] fr
3 Dendrotech, Betton, yann [dot] couturieratdendrotech [dot] fr
4 Dendrotech, Betton, yannick [dot] ledigolatdendrotech [dot] fr

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Dans le nord-ouest de la France, deux périodes de gestion presque exclusive des taillis encadrent la période 400-1200. Ces 600 ans présentent une image bigarrée des forêts, où coexistent des peuplements très anciens issus du déclin de l'Empire romain et des taillis très jeunes destinés à répondre à tous les besoins liés au développement d'activités économiques en plein essor. Cette période d'expérimentation sylvicole s'exprime de manière très variée sur les peuplements forestiers, qu'ils soient issus de hautes futaies, de taillis-sous-futaie ou de haies, et prend la forme de changements brusques de croissance, de cicatrices d'abroutissement, de silhouettes d'arbres caractéristiques... Le dendro-archéologue y verra les signes d'un cadre coutumier de plus en plus affirmé pour l'utilisation des forêts et des bois par les communautés humaines et leur bétail, bien avant les premières réglementations forestières qui ont vu le jour au 13e siècle.